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Eat, pray , love. ( Mange, prie, aime.) Elizabeth Gilbert / BLOOMSBURY - 2006 - 2 - Le port tranquille de mes pensées

p. 185-188 - Bien sûr que Dieu sait déjà ce dont j'ai besoin. La question est : est-ce que moi, je le sais ? Vous jeter aux pieds de Dieu dans un élan de désespoir impuissant, c'est très bien – le Ciel sait, j'en ai déjà fait moi-même l'expérience des dizaines de fois... Mais au final, vous êtes censé retirer bien plus de l'expérience si vous prenez vous-même part à l'action, d'une manière ou d'une autre. Il y a une vieille plaisanterie italienne merveilleuse au sujet d'un pauvre homme qui va à l’église chaque jour et qui prie devant la statue d'un grand saint. Il supplie: Cher saint, je t'en prie, je t'en prie, je t'en prie... Donne-moi la grâce de gagner à la loterie. Cette lamentation dure des mois. Finalement, la statue exaspérée prend vie, regarde l'homme priant à ses pieds et dit, lasse et écœurée : Mon fils, je t'en prie, je t'en prie, je t'en prie... Achète un billet.

 

 

La prière est une relation, la moitié du travail est mien. Si je veux une transformation mais ne peux pas même prendre la peine de formuler comment, exactement, je vais faire pour l'atteindre, comment pourrait-elle avoir lieu ? La moitié du bénéfice de la prière est dans la demande elle-même, dans l'offrande d'une intention clairement posée et bien considérée. Si vous ne faites pas cela, tous vos vœux et vos désirs sont sans squelette, flasques, inertes ; ils tourbillonnent à vos pieds en un brouillard froid qui ne se lève jamais. (…) Les prières peuvent s'éventer et ronronner dans l'ennui et la routine si vous laissez votre attention stagner. En faisant un effort pour rester éveillée, j'assume la responsabilité et la tutelle de ma propre âme.

 

 

Le destin, je le sens, est aussi une relation – un jeu entre la grâce divine et un travail sur soi pleinement conscient. Vous n'avez aucun contrôle sur une moitié, l'autre moitié réside entièrement entre vos mains et de vos actes vont découler des conséquences mesurables. L'homme n'est jamais totalement une marionnette entre les mains des dieux, et il n'est pas le seul capitaine à bord de sa destinée ; il est un peu les deux. Nous traversons notre vie en galopant en équilibre sur deux chevaux de cirque lancés côte à côte à toute vitesse, comme des voltigeurs ; un pied est sur le cheval nommé Fatalité, l'autre sur celui nommé Libre-Arbitre. Et la question que vous devez vous poser chaque jour est : quel cheval est lequel ? Pour quel cheval dois-je cesser de m'inquiéter puisqu'il n'est pas sous mon contrôle, et lequel dois-je mener avec un réel effort de concentration ?

 

 

Il y a tant de choses liées à mon destin que je ne peux maîtriser, mais d'autres tombent bel et bien sous ma juridiction. Je peux acheter certains billets de loterie et ainsi augmenter mes chances de trouver satisfaction. Je peux décider de la façon dont je passe mon temps, avec qui j'entre en contact, avec qui je partage mon corps, ma vie, mon argent et mon énergie. Je peux choisir ce que je mange, lis ou étudie. Je peux choisir quel regard je porte sur les circonstances malheureuses de ma vie – si je vais les voir comme des malédictions ou des opportunités ( et au cas où je ne puisse pas m'élever jusqu'au point de vue le plus optimiste, parce que je m'apitoie sacrément sur moi-même, je peux choisir d'essayer de modifier ma manière de penser). Je peux choisir mes mots et le ton de ma voix quand je parle aux autres. Et par-dessus tout, je peux choisir mes pensées.

 

 

Ce dernier concept était une idée radicalement nouvelle pour moi. Richard du Texas me l'a fait remarquer récemment, alors que je me plaignais de ne pas être capable de cesser de me tourmenter. Il dit : Gourmande*, tu as besoin d'apprendre à sélectionner tes pensées exactement de la même manière que tu choisis les vêtements que tu vas porter chaque jour. C'est un pouvoir que tu peux cultiver. Si tu veux contrôler les choses dans ta vie si mauvaise, travaille sur ton mental. C'est la seule chose que tu puisses faire. Laisse tout tomber sauf ça. Parce que si tu ne peux apprendre à maîtriser tes pensées, tu es dans un trouble profond ; pour toujours.

 

 

A première vue, cela semble une tâche impossible. Contrôler ses pensées ? Plutôt que les laisser vous tourner autour ? Mais imaginez que cela soit possible. Il ne s'agit ni de répression ni de déni. La répression et le déni établissent des scénarios élaborés pour prétendre que les pensées et les sentiments négatifs n'existent pas. Ce dont Richard parle c'est au contraire la capacité d'admettre leur existence, en comprenant d'où ils viennent et pourquoi ils surgissent, puis, avec un grand potentiel de pardon et une vraie force d'âme, en les écartant. C'est une pratique que l'on retrouve clé-en-main dans toute psychothérapie. Vous pouvez utiliser le canapé d'un psy pour comprendre pourquoi les pensées négatives sont celles qui surgissent en premier, ou des exercices spirituels pour vous aider à en venir à bout. Bien sûr, c'est un sacrifice de les laisser partir. C'est une perte des vieilles habitudes qui renforcent les rancunes et les instantanés familiers. Bien sûr tout cela demande de la pratique et des efforts. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il ne suffit pas de l'entendre une fois pour en avoir aussitôt la maîtrise. Cela suppose une vigilance constante et je veux le faire. J'ai besoin de le faire, pour devenir forte. Devo farmi le ossa est la manière de le dire en italien. J'ai besoin de fabriquer mes os ( de me faire les dents...).

 

 

C'est ainsi que j'ai commencé à observer avec vigilance mes pensées chaque jour, et à les diriger. Je me répète ce vœu au moins 700 fois par jour : Je ne veux plus nourrir ( faire entrer au port – to harbor) des pensées nocives. Chaque fois que des pensées dévalorisantes surviennent, je me répète ce vœu. Je ne veux plus nourrir ( faire entrer au port) des pensées nocives. La première fois que je me suis entendue dire ça, mon oreille intérieure s'est ragaillardie à ce mot portharbor, qui est un nom aussi bien qu'un verbe. Un port, bien sûr, est un refuge, une entrée. Je me mis à dessiner le port de mon esprit – un peu agité, usé par les tempêtes, mais bien situé et doté d'une belle profondeur. Le port de mon esprit est une large baie, le seul accès à l'île de mon Moi ( qui est une jeune île volcanique, certes, mais fertile et prometteuse). Cette île a traversé des guerres, c'est vrai, mais elle est désormais attachée à la paix, régie par un nouveau maître ( moi) qui a institué une nouvelle politique pour protéger la place. Et maintenant, laissons le mot voyager autour des sept mers – il y a beaucoup, beaucoup de lois plus strictes sur les registres qui permettent l'entrée au port.

 

 

Vous ne pouvez plus y venir avec vos pensées dures et abusives ; avec vos navires qui charrient la peste, avec vos navires qui propagent l'esclavage, avec vos navires de guerre qui envahissent l'esprit, tous seront détournés. De même, toute pensée emplie de colère ou affamée d'exil, amenant du mécontentement, de la polémique, de la mutinerie ; de violents assassins, des prostituées désespérées, des maquereaux et de séditieux embarquements, inutile de venir ici désormais, vous non plus. Les pensées cannibales, pour des raisons évidentes, ne seront plus acceptées. Même les missionnaires seront scrutées attentivement, pour être honnête. C'est un port paisible, l'accès à une île belle et fière qui n'en est qu'au début de cultiver la tranquillité. Si vous pouvez respecter ces nouvelles lois, mes chères pensées, alors vous êtes les bienvenues dans mon esprit, sinon, je vous renverrai par la mer, là d'où vous venez.

Telle est ma mission et elle ne prendra jamais fin.

 

 

Note :

* Richard du Texas la surnomme Groceries, Épicerie, ( que je préfère traduire par Gourmande) parce qu'elle mange beaucoup et qu'elle aime ça... Par ailleurs, elle veut aussi savourer la vie avec gourmandise. J'aurais peut-être voulu la nommer Gourmet, mais ce mot n'a pas de féminin en français... C'est drôle, on retrouve le thème de mon premier roman : Régalez-vous !... Mais je suis aussi une femme gourmande de vie et de nourriture... C'est sans doute pourquoi Liz Gilbert m'a tellement touchée... Et aussi, par son humour...

 

 

09 et 10/07/13

Je suis la modeste traductrice de ces pages.

N'étant pas spécialiste, je vous remercie de votre indulgence...



10/07/2013
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