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Fiction


OPALE VENISE IRISEE - chapitre 14

Lorsque Martina découvrit la pile de journaux laissée sur le rebord de sa fenêtre par le livreur, elle la prit et descendit avec au bar, pour la mettre à disposition des clients. Elle ne se remettait toujours pas d'avoir laissé partir Angelina. Elle se fit un café et s'assit à une table pour lire les dernières nouvelles. Les photos de la Une sur les inondations catastrophiques des derniers jours lui fit prendre conscience qu'il n'avait pas plu depuis plusieurs heures maintenant. Elle risqua un regard vers sa vitrine obstruée par les sacs de sable qu'elles avaient consciencieusement accumulés, la jeune fille et elle, la veille, pour protéger la vitrine du bar. Elle n'aurait su dire si le niveau de l'eau avait baissé. Elle se dit qu'elle irait voir plus tard. Elle continua en feuilletant le journal, s'arrêtant ici ou là sur un article qui pouvait l'intéresser lorsqu'elle crut reconnaître quelqu'un sur une photo. Elle froissa les feuilles pour retrouver au plus vite la page et l'ouvrit bien à plat. Pas de doute. C'était bien elle ! Angelina... soupçonnée de rapt d'enfant !

 

Elle décida de cacher la nouvelle à Vittorio, qui d'ailleurs, l'énervait avec ce téléphone !...

- Enfin ! Tu ne pourrais pas arrêter de t'énerver comme ça avec ce...

- Il n'y a plus de ligne, je te dis ! Plus de connexion !... Tu sais bien que je voulais joindre nos fils, ça fait longtemps, tu trouves pas, qu'on n'a plus reçu de nouvelles ?

- T'as essayé par mail ?

 

A peine Mattéo arriva-t-il devant le bâtiment de la mairie, où il escomptait bien obtenir de solides informations, qu'il se rappela où il avait déjà vu cette jeune-fille. La ravisseuse d'enfant !... Ou en tous cas, celle qu'on soupçonnait... Quel idiot ! Il tenait sous la main une source d'informations de première main et il l'avait laissée filer !... Pourvu qu'un de ses collègues la reconnaisse et fasse le nécessaire !... Qui est-ce qui avait fourni la photo qu'ils venaient de publier, déjà ?...

 

Théo, rassuré d'avoir trouvé sa femme et leur fils en sécurité dans le grenier de l'immeuble, au milieu des voisins qui avaient organisé leur campement, reprit sa gondole pour faire le tour du quartier et prêter main forte, s'il le fallait, aux pompiers. Il passerait échanger les nouvelles avec ses amis du bar lorsqu'il aurait besoin d'une petite pause. Bruna, sa jeune femme, n'était pas trop rassurée, à l'idée qu'il reprenne son bateau aujourd'hui, mais il sut la réconforter et c'est le coeur léger, malgré tout, qu'il débutait sa journée. D'autant qu'il n'avait pas plu maintenant depuis vingt-quatre heures. Il risqua un petit coup d'oeil au ciel, un peu trop gris à son goût, mais plutôt calme...

 

Luigi aurait aimé voir ses photos à la Une du journal, mais il était bien loin de Venise... Il tournait en rond, d'ailleurs, dans ce gymnase où la police les avait dirigés pour passer la nuit, à la périphérie de Bologne. L'agitation avait été grande, les gens n'appréciaient guère de laisser leurs véhicules sur la route, et surtout, surtout, ils ne savaient pas quand ils pourraient enfin repartir et se rendre à leur destination. Le journaliste fut un des premiers réveillés, tôt le matin, et sortit respirer un peu dehors. La touffeur était déjà palpable. Il soupira puis s'approcha d'un policier de garde qui semblait lire un journal. Il risqua un oeil par-dessus son épaule avant de lui adresser la parole. Il fut déçu, c'était un journal de la région, pas le sien. Il avait des tonnes de question à lui poser, mais la première qui lui vint fut : Vous ne sauriez pas où je pourrais trouver un exemplaire de la Nuova Voce di Venezia ?

 

29/05/14


29/05/2014
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OPALE VENISE IRISEE - Chapitre 14

14

 

Matteo courait sur les toits, aussi à l'aise qu'un chat, malgré l'encombrement de son bardas. Il n'avait qu'une hâte, se débrouiller pour obtenir un maximum d'informations à propos de ce qui avait tout l'air d'être un véritable raz-de-marée. Il reléguait volontairement au fin fond de lui-même son inquiétude pour sa famille, se persuadant que sa femme et ses enfants étaient partis à temps pour gagner la campagne retirée de Brescia, en toute sécurité. Il salua un vague voisin du journal qui trébuchait, lourdement chargé de sacs plastique. L'homme lui expliqua qu'il faisait son possible pour ravitailler les vieux du quartier, coincés dans leur appartement. Il ne lui apprit rien d'autre, mais Matteo prit un cliché, imaginant automatiquement la Une de la Nuova Voce : VENEZIA : LA SOLIDARIETA SI ORGANIZZA*.

 

 

Il projetait de se rendre au plus vite à la mairie, afin d'y entendre les nouvelles de la bouche-même du maire de la ville. Au fur et à mesure qu'il progressait en direction du quartier San Marco, l'image de la jeune-fille s'imposait à lui par flashes récurrents. Il tâchait de s'en débarrasser, comme on chasserait un moustique gênant, lorsqu'il prit soudain conscience qu'il ne devait peut-être pas éviter, même inconsciemment, une information peut-être majeure. Il s'accroupit pour faire le point dans son esprit bousculé. L'affolement était mauvais conseiller. Même si la colère d'être plongé dans l'ignorance l'habitait encore, il sentait l'urgence de se calmer et de réfléchir froidement à la situation.

 

Il commença par s'accroupir pour observer et écouter ce qui se passait autour de lui. Tout cela était parfaitement inattendu. Les gens avaient déjà pris l'habitude de circuler à pied sur les toits, des planches de bois avaient été plus ou moins solidement fixées d'un pâté de maison à l'autre, pour traverser les calle** au-dessus de l'eau. Il ne fallait pas avoir le vertige, mais à ce qu'il pouvait constater, c'était la population jeune de Venise qui s'amusait – hé oui ! s'amusait... à déambuler ainsi. Il pouvait entendre les gens s'apostropher d'un toit à l'autre, des adolescents avaient apporté un lecteur de musique et dansaient en riant et en parlant fort. Ils poussaient des cris de joie en voyant surgir les rayons de plus en plus orange et rouge du soleil. Des couples se promenaient main dans la main ; des solitaires filaient à toute allure ; d'autres portaient de lourdes charges comme le voisin tout à l'heure ; des gens s'assemblaient pour discuter, comme s'ils s'étaient rendus sur la place pour leur rendez-vous quotidien...

 

 

Une femme lui sourit en passant devant lui et lui adressa la parole : Vous avez pensé à prendre votre appareil photo ? Moi, j'ai oublié... Dommage ! Je reviendrai demain pour prendre le coucher de soleil... Matteo lui demanda s'il pouvait la prendre, elle acquiesça en inclinant la tête, inquiète tout à coup de l'angle de prise de vue, du pli de sa chemise sur le pantalon, de ses cheveux quelque peu ébouriffés. Il rit de son embarras qu'il trouvait charmant. Il lui montra la photo dans l'écran de contrôle. Elle en parut satisfaite. Elle lui sourit de nouveau avant de s'éloigner timidement. Il continua à engranger cliché sur cliché, l'eau scintillait de tous les feux du soleil, les façades mouvantes et floues semblaient flotter dans le vide, le ciel reflétait l'apparente sérénité de la ville.

 

 

Tout le monde semblait décidé, ce soir, à oublier l'angoisse des derniers jours. Tout le monde se prenait à espérer que la folie diluvienne se résorberait enfin. Certes, il y aurait du travail pour tout nettoyer et tout remettre en ordre, des chefs-d'œuvre seraient certainement endommagés, voire irrécupérables, cependant, ce n'était pas la première fois que Venise avait affaire à une inquiétante montée des eaux. On s'en sortirait, on en avait l'habitude, et on ne craignait pas de remonter ses manches quand il le fallait. Mais pour l'heure, chacun semblait savourer la douceur de cette heure suspendue, dorée, presque enchantée. Voir la ville ainsi, depuis ses toits, bercée dans son réseau de calle noyées, entourée d'eau et de ciels infinis, était en effet un enchantement.

 

 

Matteo reprit sa marche, décidé à arriver avant la nuit noire à la mairie. Il espérait encore pouvoir y trouver quelqu'un, vu l'urgence de la situation. De toute façon, il n'était pas si tard... Ce fut lorsqu'il posa le pied sur le meneau de la fenêtre de la mairie qu'il se rappela où il avait vu la jeune fille. Sur la photo qu'il avait confiée à Luigi, en lui demandant d'enquêter sur elle...

 

* Venise : la solidarité s'organise.

** ruelles.

 

 

30/04/14


30/04/2014
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OPALE VENISE IRISEE - Chapitre 13

13

 

Après avoir dormi, somnolé sur ce toit, peut-être une heure, peut-être deux, Angelina se retourna sur le ventre. Une pointe dans une côte lui fit éprouver une légère douleur qui la réveilla tout à fait. Elle ouvrit les yeux difficilement, eut du mal à faire la mise au point et lorsque sa vue fut plus nette, elle regarda autour d'elle. Elle faisait face à un immeuble où des individus grimpaient de temps à autre par les étages de la façade, en s'agrippant au fer forgé des fenêtres, jusqu'au troisième où les ouvertures étaient dépourvues de barreaux. Elle prit conscience qu'une espèce de panneau de bois était ficelé là en guise d'enseigne, sur lequel une inscription se révélait pratiquement illisible, du toit où elle se trouvait. Elle avait remarqué un immeuble sur sa droite qui pouvait la rapprocher, et soudain curieuse, décida d'aller voir. Lorsqu'elle réussit à déchiffrer l'inscription, son cœur se mit à battre plus vite. Elle le savait !... Elle ne savait pas comment, mais elle savait que c'était là !...

 

Matteo n'en pouvait plus de ne pas savoir ce qui se passait. De ne pas comprendre, surtout ! S'il avait choisi le métier de journaliste, puis accepté ce poste de rédacteur en chef, c'était pour maîtriser l'information, tout type d'information. Le fait de se retrouver dans l'ignorance la plus totale, même depuis à peine une heure, le mettait en rage ! Il fallait qu'il bouge ! Qu'il aille lui-même à la pêche aux infos. Il chargea un proche collaborateur de la responsabilité du service jusqu'à son retour, fit une toilette de chat – qui s'imposait, et s'équipa. De quoi s'alimenter et boire – ce qu'il préleva dans le frigo collectif ; un pull, un imper de sport qui protégerait son sac si le déluge refaisait son apparition ; son appareil photo, son calepin et plusieurs stylos, son portable ( au cas où les relais se remettraient miraculeusement en marche...) ; ses papiers, de l'argent ( même s'il n'était pas sûr que cela lui serve à quelque chose...). Ah ! Son nécessaire de toilette qu'il gardait toujours dans son vestiaire, au bureau... Il bourra le tout en vrac dans un sac-à-dos, le jeta sur une épaule et s'apprêtait à franchir la fenêtre qui servait à la fois d'entrée et de sortie lorsqu'il buta contre un corps étendu à même le sol. Il frissonna presque de dégoût, se pencha pour vérifier si la personne était vivante, sentit le pouls battre faiblement, retourna le corps et découvrit le visage blême d'une très jeune fille. Il fut surpris tout à coup par son aspect familier, mais pris par l'urgence, coupa court à ses interrogations et la gifla une ou deux fois pour qu'elle revienne à elle. Elle ouvrit les yeux, les agrandit de terreur en apercevant un inconnu penché juste au-dessus d'elle, lui rendit une bourrade en rampant à reculons sur les fesses et en lui crachant à la figure : ça va pas, non ?!...

 

Éberlué, l'homme eut lui aussi un vif mouvement de recul, s'apprêta à ouvrir la bouche pour s'expliquer et la remettre à sa place lorsqu'elle lui fit un signe. Elle se mit à balbutier de vagues excuses, d'une voix presque inaudible tout en se relevant avec difficulté, cherchant le mur derrière elle mais ne trouvant que le vide de la fenêtre béante. Il la fixait toujours comme s'il avait vu surgir sous ses yeux un monstre, des eaux glauques de Venise. Il tendit tout de même le bras pour la détourner du vide et l'aider à trouver le mur. Elle lui apprit qu'elle s'appelait Angelina et qu'elle cherchait un reporter photographe, celui qui avait pris des clichés de la catastrophe deux nuits auparavant, elle ne savait pas comment il s'appelait. Elle savait qu'il travaillait ici. Elle avait dit tout cela d'une traite, mais quasiment sotto voce*, comme si elle avait peur, en parlant à haute voix, de réveiller les noyés en bas sous les fenêtres de l'immeuble. Matteo sut tout de suite qu'il s'agissait de Luigi et se demanda comment ce diable de cachottier avait pu la séduire, dans la tenue débraillée et crasseuse où il l'avait vu à l'aube de cette fameuse nuit, mais il ravala ses pensées mesquines. D'ailleurs, ce n'était qu'une môme, et connaissant son complice de toujours, il se doutait bien qu'elle n'était certes pas de taille à rivaliser avec Domitilla, même si celle-ci était devenue depuis peu l'ex-femme de son ami. Cette gamine était habillée en unisexe, par-dessus le marché ! Côté sexy, elle avait du chemin à faire... sans compter son caractère de bête sauvage !

- Qu'est-ce que vous lui voulez, à ce reporter ?

- Ça ne vous regarde pas !

Ils échangèrent un coup d'œil venimeux, mais elle se ravisa presque aussitôt :

- En fait, j'espérais qu'il pourrait m'aider, comme il l'a fait cette nuit-là.

- Ah ?

Le silence se prolongea.

- Il est là ou pas ?

- Non. Et vous n'êtes pas près de le retrouver, à mon avis, parce qu'avec le chaos qui règne en ce moment, personne ne sait où est qui que ce soit, vous pouvez me croire !...

Elle eut l'air un instant désorientée. Il crut bon de préciser :

- Je suis moi-même à la recherche d'un tas de gens, figurez-vous ! Et mon métier, c'est la comm !... Enfin, c'était... parce qu'aujourd'hui, plus rien, vous m'entendez ? Plus rien ne fonctionne !... Nous sommes tous isolés, et nous ne pouvons plus compter que sur les gens qui nous entourent immédiatement. Voulez-vous tenter votre chance auprès de mes autres collaborateurs ?

- Et vous ? Vous partiez ? Vous venez de me dire...

- Ce que je fais ne regarde que moi, comme vous le suggériez vous-même gentiment tout à l'heure...

Elle baissa le menton, rougit en se morigénant mentalement. Pourquoi avait-elle tout le temps besoin de se faire reprendre comme une gamine ?! Elle sentit la colère monter en elle, mais un rire franc la surprit.

- Allez ! Vous en faites pas ! C'était une petite vengeance, pas très honorable, je l'avoue, mais on fait ce qu'on peut, hein ? Surtout par les temps qui courent... Trêve de plaisanterie, vous avez de la famille ici ? Pourquoi recherchez-vous la protection d'un journaliste ? Vous avez des révélations à faire ?...Ou c'est juste la petite personne de Luigi qui vous intéresse ?

Elle rougit une nouvelle fois en entendant la dernière question, elle ne savait quoi répondre à ce feu roulant d'interrogations. Elle lui coula un regard en biais. Vu le ton qu'il employait, ce type-là était jaloux de Luigi, elle en aurait mis sa main à couper ! Enfin, façon de parler, parce que pour l'instant, elle en avait assez de se prendre des coups, au moral comme au physique, de nouvelle rencontre en nouvelle rencontre. Bon d'accord, elle était injuste. Martina ne lui avait donné que de la douceur, elle... La jeune fille aurait été bien incapable de révéler ce qui la reliait à ce journaleux, ce Luigi, mais elle était sûre qu'il était la clé. La clé... Elle s'étonna elle-même de ce mot qui lui venait si naturellement à l'esprit. Elle bafouilla encore une fois. Il lui dit de s'adresser à un de ses collègues, le bureau en était plein. Avant de franchir le rebord, il posa une dernière question :

- Au fait, pourquoi étiez-vous évanouie ? Vous avez peut-être besoin de soins ?...

- J'ai trébuché en passant la fenêtre, et je suis soule de fatigue... C'est tout. Vous pouvez partir sans culpabiliser...

Il hocha la tête, lui jeta un nouveau regard acerbe. En effet, vu son humour mauvais, elle avait l'air d'aller mieux. Il se décida à franchir la fenêtre.

- Attendez !

Il se retourna, déjà prêt à escalader le haut de la façade.

- Dites-moi son nom, s'il-vous-plaît !

- Il ne vous l'a pas dit ?

Elle mentit :

- J'ai oublié. Le choc, vous comprenez... Les derniers événements...

Il hocha la tête. Devait-il lui donner ce nom ou se taire ? Luigi allait lui en vouloir, quelle que soit sa décision, il en était sûr.

- Luigi... Luigi Cogliatti.

- Merci...

Il n'entendit pas sa réponse. Il bondissait déjà sur les toits. Elle se dit que les toits de Venise allaient devenir une véritable avenue, si ça continuait... Une bruyante envolée de pigeons sembla prouver qu'ils partageaient son avis.

 

* sotto voce : à voix basse.

 

08/03/14


08/03/2014
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OPALE VENISE IRISEE - Chapitre 12

12

 

Matteo, le chef de rédaction de la Nuova Voce di Venezia n'arrivait pas à joindre sa famille depuis que sa femme avait emmené les enfants se réfugier dans son village natal, chez sa mère, à la montagne, près de Brescia.

- Pourtant, c'est pas là-bas que les inondations peuvent couper les communications, bon Dieu, jura-t-il !

Il se passa la main sur le visage. Il était envahi de barbe. Une vague angoisse nouée au niveau de l'estomac, il repensa à ce qu'il avait dit à Luigi, quelques heures auparavant. Le reporter lui avait paru incroyablement négligé, même si Matteo savait qu'il avait passé la nuit à travailler dans des conditions épouvantables. Mais lui-même, à l'heure qu'il est, ne devait pas paraître beaucoup plus civilisé. Lui, toujours si soucieux de son apparence !... Ce n'est pas que les autres femmes que la sienne l'attiraient. Si bien sûr ! Mais le problème n'était pas là... Il s'agissait de se savoir à son avantage en toutes circonstances, voilà tout ! Il bougonnait encore lorsque tout le système informatique de la rédaction s'éteignit. Il remit à plus tard l'idée d'aller se rafraîchir aux toilettes...

- Allons bon ! Qu'est-ce que c'est que ça, encore ?

Il sortit de son bureau en trombe, l'affolement le plus complet régnait à tous les postes. L'un de ses employés lui confirma ce qu'il redoutait déjà : plus aucune communication ne fonctionnait, tout s'était arrêté d'un coup. Les spécialistes tâchaient déjà de remédier au problème, mais plus rien ne semblait dépendre de leurs compétences.

 

Théo se servait parfois de sa gaffe pour pêcher les sacs plastiques et autres détritus qui flottaient à la surface de l'eau, tout en dirigeant la gondole ici et là. Vittorio s'était emparé de l'épuisette que ses fils, lorsqu'ils étaient enfants, utilisaient pour aller à la pêche aux crevettes. Le tableau aurait pu être risible, si d'autres Vénitiens n'avaient pas eu l'idée d'en faire autant, pour laisser les pompiers à leurs priorités. Le ciel bas semblait encore menaçant, mais pour l'instant au moins, il ne pleuvait plus. D'ailleurs, une ligne inégale d'algues, de sable de coquillages, de vase imprégnait les façades malodorantes et indiquait ainsi que le niveau de l'eau baissait enfin. Était-ce réellement une bonne nouvelle ? Bien entendu ! Mais chaque Vénitien redoutait le moment de passer au constat des dégâts... Enfin ! Chacun retrousserait ses manches, comme en témoignait cette pêche aux déchets de plastique un peu partout, n'est-ce-pas ?

- Ta femme et le bébé vont bien ? demanda soudain Vittorio.

Théo s'aperçut alors qu'il n'avait pas essayé de savoir comment sa famille avait passé la nuit ! Il fouilla dans sa poche intérieure sans même répondre, saisit son portable, et cliqua sur le bouton d'appel vers Bruna. Comme aucun son ne lui parvint dans l'appareil, il regarda le patron du bar d'un air sombre.

- Tu sais pas ? Tu vas remonter vers chez toi, qu'on ramasse les détritus ici ou ailleurs, on s'en fiche ! lui proposa Vittorio.

Théo répondit d'un signe de tête, soudain pâle comme un masque, et se hâta de récupérer sa gaffe pour l'enfoncer dans l'eau en direction de la calla où ils habitaient depuis seulement une année, avec sa toute jeune femme. Vittorio se dit que c'était la première fois que son ami se montrait muet. Et que lui-même avait bien de la chance de savoir Martina en sécurité. Il eut une pensée pour ses fils, l'un voyageait en Australie, l'autre était en France pour passer son doctorat de français. Cela faisait une petite semaine qu'ils ne s'étaient pas appelés ou donné des nouvelles sur les réseaux sociaux. Il se promit de le faire dès qu'il rentrerait.

 

07/03/14


07/03/2014
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OPALE VENISE IRISEE - Chapitre 11

11

 

La jeune fille qui avait réussi à gagner les toits, courait à perdre haleine. Elle courait comme une folle, sans une seule pensée en tête, que celle de fuir, fuir, toujours fuir ! Elle arriva au bord d'un immeuble devant un gouffre infranchissable. Elle s'effondra sur elle-même. Elle finit par s'allonger sur le toit, face au ciel. Il était gris. Elle n'en pouvait plus de ce gris. Elle voulait du bleu. Elle avait besoin de bleu. Tout le monde avait besoin de bleu ! Elle frissonna, bien que vêtue chaudement grâce aux bons soins de Martina. Martina... Elle regrettait maintenant d'avoir fui sans même un mot de remerciement pour cette femme simple et généreuse, qui l'avait accueillie comme une amie, alors qu'elle n'était qu'une inconnue pour elle. Si Martina avait su, l'aurait-elle accueillie aussi chaleureusement ? Angelina était sûre que non. C'est d'ailleurs pourquoi elle avait fui. A quoi bon essayer de s'expliquer, alors que tout se liguait contre elle ? Mais il fallait bien vivre. Le fallait-il ?

 

La police attendit le crépuscule pour débarquer. Les véhicules n'avaient pas bougé d'un pouce depuis la fin de la matinée. La plupart des occupants étaient sortis prendre l'air, glaner des bribes de renseignements en parlant les uns avec les autres, mais il fallait bien reconnaître que personne n'avait d'informations véritables, ni sur les événements, ni sur leur situation actuelle. Certains, avec des enfants le plus souvent, gagnèrent à pied l'ombre d'un pont. Les autres, pour échapper à la fournaise, sortirent des vestes ou des couvertures qu'ils installèrent à l'ombre maigre des voitures, ou mieux, des camions. Des pique-niques s'improvisèrent, des échanges spontanés se mirent en place, et ceux qui n'avaient rien reçurent un casse-croûte ou un en-cas et une gourde d'eau par ceux qui avaient prévu de manger en cours de route.

- Si au moins on s'était arrêtés près d'une aire d'autoroute, pensa Luigi qui regrettait amèrement son espresso... Et puis, on aurait au moins pu manger décemment !...

Il bougonnait mais s'étonnait en lui-même agréablement que les gens restent calmes et s'entraident, d'après ce qu'il pouvait constater, aussi loin que ses yeux pouvaient en témoigner. D'ailleurs, il ne tarda pas à sortir son meilleur compagnon d'infortune et d'information et à prendre cliché sur cliché, en demandant aux gens la permission de les prendre en photos pour la Nuova Voce di Venezia. Il enverrait tout cela à Matteo dès qu'il aurait une connexion wifi disponible.

 

Martina s'en voulait à mort. Dire qu'elle n'avait pas été capable de retenir la petite !... Au début, son mari Vittorio n'y comprenait rien. Martina était incapable de sortir deux phrases logiques, Théo comblait les blancs et peu à peu, Vittorio se fit une image à peu près correcte de ce qui s'était passé au bar pendant son absence. Il sourit à Martina, lui prit la main et l'enveloppa de son bras pour lui montrer son soutien.

- Si j'ai bien compris, elle est adulte, cette fille, dit-il. Elle devrait s'en sortir sans toi, non ?

- Sans doute, mais elle est si jeune !... Et elle n'avait plus rien !

- Mais elle a bien une famille, un chez-elle, quoi !...

Théo intervint :

- Ben, rien n'est moins sûr !... Chaque fois qu'on lui parle de la ramener chez elle, elle s'arrange pour disparaître...

Martine se cacha le visage dans les mains.

 

04/03/14


04/03/2014
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