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OPALE VENISE IRISEE - Chapitre 14

14

 

Matteo courait sur les toits, aussi à l'aise qu'un chat, malgré l'encombrement de son bardas. Il n'avait qu'une hâte, se débrouiller pour obtenir un maximum d'informations à propos de ce qui avait tout l'air d'être un véritable raz-de-marée. Il reléguait volontairement au fin fond de lui-même son inquiétude pour sa famille, se persuadant que sa femme et ses enfants étaient partis à temps pour gagner la campagne retirée de Brescia, en toute sécurité. Il salua un vague voisin du journal qui trébuchait, lourdement chargé de sacs plastique. L'homme lui expliqua qu'il faisait son possible pour ravitailler les vieux du quartier, coincés dans leur appartement. Il ne lui apprit rien d'autre, mais Matteo prit un cliché, imaginant automatiquement la Une de la Nuova Voce : VENEZIA : LA SOLIDARIETA SI ORGANIZZA*.

 

 

Il projetait de se rendre au plus vite à la mairie, afin d'y entendre les nouvelles de la bouche-même du maire de la ville. Au fur et à mesure qu'il progressait en direction du quartier San Marco, l'image de la jeune-fille s'imposait à lui par flashes récurrents. Il tâchait de s'en débarrasser, comme on chasserait un moustique gênant, lorsqu'il prit soudain conscience qu'il ne devait peut-être pas éviter, même inconsciemment, une information peut-être majeure. Il s'accroupit pour faire le point dans son esprit bousculé. L'affolement était mauvais conseiller. Même si la colère d'être plongé dans l'ignorance l'habitait encore, il sentait l'urgence de se calmer et de réfléchir froidement à la situation.

 

Il commença par s'accroupir pour observer et écouter ce qui se passait autour de lui. Tout cela était parfaitement inattendu. Les gens avaient déjà pris l'habitude de circuler à pied sur les toits, des planches de bois avaient été plus ou moins solidement fixées d'un pâté de maison à l'autre, pour traverser les calle** au-dessus de l'eau. Il ne fallait pas avoir le vertige, mais à ce qu'il pouvait constater, c'était la population jeune de Venise qui s'amusait – hé oui ! s'amusait... à déambuler ainsi. Il pouvait entendre les gens s'apostropher d'un toit à l'autre, des adolescents avaient apporté un lecteur de musique et dansaient en riant et en parlant fort. Ils poussaient des cris de joie en voyant surgir les rayons de plus en plus orange et rouge du soleil. Des couples se promenaient main dans la main ; des solitaires filaient à toute allure ; d'autres portaient de lourdes charges comme le voisin tout à l'heure ; des gens s'assemblaient pour discuter, comme s'ils s'étaient rendus sur la place pour leur rendez-vous quotidien...

 

 

Une femme lui sourit en passant devant lui et lui adressa la parole : Vous avez pensé à prendre votre appareil photo ? Moi, j'ai oublié... Dommage ! Je reviendrai demain pour prendre le coucher de soleil... Matteo lui demanda s'il pouvait la prendre, elle acquiesça en inclinant la tête, inquiète tout à coup de l'angle de prise de vue, du pli de sa chemise sur le pantalon, de ses cheveux quelque peu ébouriffés. Il rit de son embarras qu'il trouvait charmant. Il lui montra la photo dans l'écran de contrôle. Elle en parut satisfaite. Elle lui sourit de nouveau avant de s'éloigner timidement. Il continua à engranger cliché sur cliché, l'eau scintillait de tous les feux du soleil, les façades mouvantes et floues semblaient flotter dans le vide, le ciel reflétait l'apparente sérénité de la ville.

 

 

Tout le monde semblait décidé, ce soir, à oublier l'angoisse des derniers jours. Tout le monde se prenait à espérer que la folie diluvienne se résorberait enfin. Certes, il y aurait du travail pour tout nettoyer et tout remettre en ordre, des chefs-d'œuvre seraient certainement endommagés, voire irrécupérables, cependant, ce n'était pas la première fois que Venise avait affaire à une inquiétante montée des eaux. On s'en sortirait, on en avait l'habitude, et on ne craignait pas de remonter ses manches quand il le fallait. Mais pour l'heure, chacun semblait savourer la douceur de cette heure suspendue, dorée, presque enchantée. Voir la ville ainsi, depuis ses toits, bercée dans son réseau de calle noyées, entourée d'eau et de ciels infinis, était en effet un enchantement.

 

 

Matteo reprit sa marche, décidé à arriver avant la nuit noire à la mairie. Il espérait encore pouvoir y trouver quelqu'un, vu l'urgence de la situation. De toute façon, il n'était pas si tard... Ce fut lorsqu'il posa le pied sur le meneau de la fenêtre de la mairie qu'il se rappela où il avait vu la jeune fille. Sur la photo qu'il avait confiée à Luigi, en lui demandant d'enquêter sur elle...

 

* Venise : la solidarité s'organise.

** ruelles.

 

 

30/04/14



30/04/2014
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