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Education : le chaud et le froid...

Nous vivons des temps contradictoires... Nous ? Les enseignants de l’Éducation Nationale.

 

Le chaud...

 

D'un côté, le Ministère crée une instance officielle – institutionnelle- «  école-collège », dans le but d'échanger et d'harmoniser nos pratiques. Les enseignants du primaire ayant pour consignes depuis des années d'évaluer les progrès de leurs élèves grâce à des compétences*, ont de ce fait abandonné les notes, vides de sens. S'il faut harmoniser nos pratiques, on pourrait penser que l'institution cherche à ce que les pratiques du primaire fassent tache d'huile sur celles du secondaire... Sinon, comment s'y prendre autrement ?...

De ce même côté, la formation initiale des capésiens ( j'en ai un témoignage direct en documentation, en tous cas) va dans le même sens : éviter de ne faire que du «  frontal » ( des cours magistraux, pour les anciens qui ne suivent pas toujours le renouvellement du vocabulaire institutionnel...), mais de développer autant que possible le «  participatif » ( traduction : mettre les élèves en situations de recherche pour construire leurs savoirs).

Enfin, dans notre collège du Jura ( je ne mentionnerai pas lequel, mais beaucoup d'entre vous savent où je travaille...), certains professeurs font partie d'une équipe pédagogique qui souhaite mettre en œuvre, pour deux classes de 6è, avec l'accord explicite de leur chef, une stratégie commune d'évaluations transversales.

L'objectif est que les élèves sachent précisément ce qui leur est demandé d'améliorer, toutes matières confondues, dans chaque compétence, que leurs professeurs ont très précisément définies. Les enseignants sont donc là, ainsi que les parents, à qui ce tableau de compétences est explicité et transmis, pour aider les élèves à se situer au regard de quatre niveaux par compétence afin de viser le niveau supérieur défini ( en début d'acquisition, en cours d'acquisition, acquis ou expert : le dernier stade étant là pour maintenir la dynamique de travail et viser plus haut quand c'est possible...).

Cette façon de travailler a été initiée l'année dernière avec une classe de 5è et a donné d'excellents résultats. La communication avec les élèves et leurs familles était fondée sur un tableau semblable de compétences graduelles, définies par l'équipe pédagogique. Seule une élève a refusé de s'investir dans le travail, tous les autres élèves de la classe - les bons, les moyens et les moins bons - se sont servi des conseils très précis définis par leurs professeurs pour progresser. La principale de l'établissement nous informe en cette fin de premier trimestre, que tous ces élèves, aujourd’hui en 4è, affichent d'excellents résultats scolaires !...

 

Le froid...

L'un de nos collègues est à l'origine de ce projet. Il a déjà travaillé dans un collège expérimental, dans une autre région, mais ce qui l'intéresse, c'est de proposer des idées nouvelles au sein d'un établissement lambda, en l’occurrence, celui où il travaille actuellement, et où je travaille également. Il ne propose pas des idées nouvelles pour la nouveauté, mais parce qu'il est intimement persuadé qu'elles relèvent d'une politique humaniste en matière d'éducation, et de manière plus terre à terre, parce qu'elles permettent à des élèves jusque là livrés à eux-mêmes pour progresser, d'y parvenir efficacement.

En effet, si l'on s'en réfère aux enquêtes PISA, la France fait partie des mauvais élèves dans le domaine de l'éducation : lorsqu'un élève est à un stade donné d'acquisition en France, ses résultats au fil des années montrent qu'il reste au même niveau tout au long de sa scolarité. Les bons restent bons, les moyens restent moyens ou baissent, les moins bons restent en bas de l'échelle. Par ailleurs, si l'on s'en réfère aux enquêtes européennes sur l'estime de soi, nos élèves Français sont parmi les plus stressés des systèmes éducatifs européens. En France, on attend d'eux des résultats en matière de connaissance, et on ne les accompagne nullement dans leur épanouissement personnel, dans leur envie d'apprendre ou dans le développement de leur curiosité intellectuelle.

Notre collègue a « oublié » depuis des années ce qu'est un cours magistral, tant il s'est heurté aux écueils de ce genre de pratique : la moitié des élèves d'une classe ne comprend pas ce que raconte le professeur, et sitôt l'évaluation passée, se dépêche de l'oublier... Que reste-t-il dans la tête de nos élèves lorsqu'ils quittent le système scolaire ? Peu de choses, il faut bien le reconnaître... Or, s'ils construisent eux-mêmes leurs savoirs, accompagnés de leurs enseignants, guidés, encouragés... Là, les chances augmentent qu'il en reste quelque chose, au moins cherchent-ils à éclaircir ce qu'ils ne comprennent pas, et se mettent-ils à se poser des questions sur le sujet... De là à aller chercher les réponses soi-même !...

Dans la classe de ce collègue, les élèves travaillent par ateliers, ils savent assumer des rôles de service pour les autres ( distribuer la parole, être le secrétaire ou l'animateur de l'atelier, c'est-à-dire entre autres ré-expliquer les consignes, etc...) et soulager ainsi le professeur qui peut alors se consacrer à l'essentiel : les guider dans leur travail.

Ils utilisent un jeu de tétraèdres particuliers, pour exprimer visuellement là où ils en sont : si la couleur rouge pointe vers le haut, ils demandent de l'aide. Un autre élève qui aura terminé sa tâche, ou qui est plus rapide, peut venir proposer son aide vers ces tables où le rouge est affiché.

Enfin, le professeur a fait réfléchir ses élèves en début d'année sur une charte de classe qui leur octroie plus de libertés ( le droit de boire de l'eau en classe, le droit de se lever pour aller consulter une affiche sur les murs de la salle, dans la mesure où ils ne gênent pas les autres...), ceci afin d'être plus efficaces au travail et plus autonomes dans leur organisation personnelle ou par ateliers. Ce professeur incite donc les élèves à être solidaires entre eux, à être également de plus en plus autonomes au fur et à mesure qu'ils se familiarisent avec le fonctionnement de leur classe.

Or, ce même professeur, qui pourrait tout à fait devenir formateur par exemple, pour des collègues en formation initiale, ou pour des collègues désireux d'apprendre à passer à autre chose que les cours magistraux, vient de se faire inspecter...

Et son inspecteur n'apprécie aucunement la classe coopérative qu'il a mise en place. Trouve qu'il est trop en retard dans le programme. Trouve qu'il doit se recentrer sur le programme. Trouve qu'il doit évaluer les connaissances avec des notes. Trouve qu'il doit... refaire des cours magistraux !

Personne ne peut rien contre un inspecteur. Il est déjà venu le voir il y a cinq ans, lui faisant le même type de remarques. Le professeur a essayé d'en tenir compte mais c'est tellement à l'opposé de sa conception du métier, de sa conception de l'éducation, et c'est même radicalement à l'opposé de ce qui est exigé par les inspecteurs en primaire !... Et dans d'autres matières... Alors quoi ?...

C'est notre collègue qui a dû baisser la tête, qui a dû même proposer qu'on l'accompagne, puisque l'inspecteur n'y avait pas pensé ( pourtant, il en aurait eu le temps, durant ces 5 années entre deux inspections...). Notre collègue se fait donc « accompagner » par un autre collègue qui fait partie des groupes de travail de l'inspecteur, pour qu'il soit bien sûr de le faire rentrer dans les clous... Enfin, dans les siens ! Qui ne sont pas ceux de tout le monde...

C'est le monde à l'envers !...

Le comble, c'est que notre équipe pédagogique, approuvée par notre chef d'établissement, est en train de rédiger une demande officielle de dérogation pour obtenir le droit et des moyens supplémentaires pour innover dans ces deux classes de 6è expérimentales, en lien avec la liaison école-collège./..

Alors ? Innovation ou tradition ? Que choisit l'Institution ?

 

  • compétences : combinaison de connaissances, de capacités et d'attitudes.

  • Liste des compétences transversales définies par l'équipe pédagogique du collège :

COMPRENDRE UN DOCUMENT / REDIGER / DIRE / RAISONNER / REALISER / TRAVAILLER EN EQUIPE / ETRE AUTONOME / RECHERCHER-TRAITER L'INFORMATION / RESTITUER SES CONNAISSANCES / DEVELOPPER UN COMPORTEMENT RESPONSABLE.

22/12/13



22/12/2013
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